nous sommes partout

nous sommes partout

C’est gratuit/It’s free

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

Le texte est signé par une personne française habitant et militant à Genève qui se déplace fréquemment en France voisine pour participer aux mouvements des Gilets jaunes. Si l’action racontée se passe effectivement en France, nous avons intégré le texte dans le recueil pour rendre visible cette militance que la frontière n’arrête pas, qui ne se situe pas et ne se pense pas par rapport à une délimitation artificielle entre la Suisse romande et la France.

Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Quand on voit ce qu’il se passe dehors et dans le monde, on est obligéexs de se poser cette question : qu’est-ce qu’on fait ?

Choisissons d’abord plusieurs objets et étalons-les devant nous. On ne va pas prendre des objets au hasard. Prenons des lunettes de piscine, un mégaphone, une voiture, des allumettes, un transpalette, un casque, des masques, du gel hydroalcoolique, un parapluie, des clous, des palettes et bien d’autres choses — ce qui traîne à droite et à gauche dans nos lieux d’habitation, dans nos rues. Étalons ces objets devant nous et laissons-nous la liberté de nous demander ce que ces objets peuvent nous permettre de faire. Regardons-les comme des outils pratiques. Pensons concret !

Prenons la voiture. À quoi ça peut nous servir ? Je démarre, vous montez à l’arrière, on s’engage sur la route. Par la fenêtre, vous voyez les radars défiler, ceux qui flashent à gogo et vident nos épargnes. On s’arrête à la pompe à essence, pompe à fric, pour que ça roule. Vous savez que ça se paye le droit de conduire ces objets ? Permis, assurances, leasings, contrôles techniques, taxes… Ça a l’air con tout ça. Ça ne l’est pas. Ce n’est pas anodin, parce que c’est un peu le point de départ du mouvement des Gilets jaunes. Et ça, ce n’est pas rien.

Nous sommes maintenant sur l’autoroute, le vent souffle autour de l’habitacle.

On s’engage sur une voie de sortie. Il y a un panneau : « Péage, 200 mètres ». Il y en a beaucoup en France. On y paie une taxe pour un trajet effectué sur une autoroute. À la base, cette taxe existe pour amortir les coûts de construction et les salaires des travailleureuxses. Mais bon, ça fait des années que ce coût a largement été amorti pour la plupart des autoroutes françaises. Les autoroutes ont été vendues à des grands groupes, au privé quoi. Maintenant, aux péages, on paye directement les actionnaires.

La question que l’on va se poser maintenant, c’est « comment rendre un péage gratuit ? »

Au premier abord, ça paraît assez simple. Il y a une barrière, assez légère d’ailleurs, soulevez-la : c’est gratuit. Vous vous en doutez bien, c’est pas si simple, mais on va passer en revue tous les détails qui peuvent nous permettre d’occuper un péage nous-mêmes. Comme un tutoriel quoi. Apprendre les savoirs pratiques des mouvements amis, ça ne mange pas de pain.

Avant de passer à l’action, demandons-nous encore : sur quels réseaux militants, citoyens, de voisinage, associatifs, va-t-on s’appuyer pour faire ce type d’action ?

Ensuite, le nombre est une question essentielle. Si nous sommes nombreuxses, nous allons pouvoir tenir l’occupation du péage plus longtemps. Par contre, être beaucoup, ce sont des contraintes d’organisation et de communication. Plus on veut être nombreuxses, plus on va se sentir obligéexs d’utiliser des médias sociaux de masse non sécurisés. Il y aura plus de risques de fuites d’information et les troupes du pouvoir seront là avant nous. Au contraire, moins nous sommes nombreuxses, plus c’est facile de s’organiser, mais plus c’est difficile de tenir le péage longtemps. Faut pas se mentir, le bouche-à-oreille, c’est ce qu’il y a de plus sûr. Il y a aussi des réseaux de communication sécurisés qui peuvent nous rendre bien des services1. On va dire qu’il faut être minimum dix pour un petit péage. À 50, on peut tenir un bon moment, quelle que soit la taille du péage.

Une fois le groupe constitué, il faut définir un lieu et une heure de rendez-vous et se demander comment arriver sur place2. Plus le lieu de rendez-vous est éloigné du péage, moins on aura de chance que les plaques d’immatriculation de nos voitures soient relevées. Par contre, être proche, ça permet d’intervenir rapidement. C’est à nous de savoir ce qui est mieux selon la stratégie d’occupation adoptée. Bien sûr, un repérage en amont est essentiel, notamment pour prévoir une échelle s’il y a une barrière (ça permet à touxtes, quelle que soit la condition physique, d’être de la partie) et, pour étudier les voies d’accès. Il y a différents péages, de différentes tailles et différents types d’accès. Les plus petits, on peut y accéder à pied. Les plus grands sont protégés par des barrières.

Tout le monde est prêt ? Allez, on entre dans la zone. Notre objectif est d’occuper le côté du péage où les automobilistes sortent et payent. N’empêchons, en aucun cas, celleux qui entrent de prendre un ticket, sinon iels auront une bien mauvaise surprise quand iels sortiront de l’autoroute après leur trajet !

Ensuite, que faire des caméras ? Les péages sont équipés de caméras et leur présence a été renforcée avec le mouvement des Gilets jaunes. Il y a deux types de caméras. Celles qui sont prévues pour relever les plaques d’immatriculation et celles sur pylône qui ont été ajoutées, afin d’avoir des images générales. Les premières se situent le long des voies de circulation, elles prennent les plaques à l’avant et à l’arrière des véhicules. Vous pouvez les baisser avec la main ou prévoir du scotch pour masquer les objectifs. Le scotch, ça permet d’être sûrex qu’aucunex automobiliste ne puisse être inquiétéex. Et les caméras sur pylône ? Bon, on va partir du principe que personne ne prend de disqueuse, d’accord ?

Ce tutoriel est pensé pour qu’il y ait le moins possible de flagrants délits. Ce choix permet de recruter large, de mener des actions faciles à faire, funs, pas trop engageantes. D’ailleurs, pour lever les barrières et masquer les caméras, on peut former un petit groupe masqué qui entrera en premier : aucun individu ne sera associé à ce qui peut être considéré comme un délit par un représentant de l’ordre excessivement zélé. Ce groupe peut ensuite aller se changer hors du champ des caméras ou tout simplement partir. Par la suite, le reste du groupe peut avoir le visage découvert3. La seule chose que nous avons à nous reprocher, c’est de rendre gratuit ce qui doit l’être. Nous sommes légitimes ! Dans ce tuto, on part de l’idée qu’il y aura forcément des images de nous par la suite et que la tactique consiste à ce qu’il n’y ait rien de « délictuel » (dégradations, vols, mise en danger) sur ces images tant qu’on est à visage découvert.

N’oublions pas de touxtes nous munir d’un gilet fluorescent pour être bien visible. Jaune, bleu, orange, rouge, multicolore, à chacunex ses tips fashion.

Ensuite, il faut savoir que les péages ont été conçus de sorte qu’il y ait des voies de circulation piétonnes : des travailleureuxses passent par là et avant, il y avait même des guichets avec de vraies personnes. Ce n’est plus le cas, mais les passages piétons existent encore et entre chaque voie de circulation il y a des zones protégées par des terre-pleins en béton. Restons dans ces zones et soyons vigilanxtes les unexs aux autres. C’est une action qui peut être très grisante et on peut facilement se mettre en danger là où des voitures roulent à grande vitesse. Diminuons les risques, nos vies sont précieuses !

Une fois les barrières levées, la société d’autoroute appelle la troupe. Une première patrouille arrive assez rapidement, ils sont moins de dix, souvent trois. Généralement, leur première question est : « C’est qui lae responsable, c’est qui lae cheffex ? » Votre réponse peut être : « personne » ou « les Gilets jaunes » ou « Y’a pas de cheffex ici. » Ne donnons jamais de nom, ne nommons jamais une personne référente et favorisons, par là même, les organisations non hiérarchiques pour que la troupe ne cible personne en particulier. Diffusons la responsabilité ! S’ils veulent nous poursuivre, qu’ils osent nous poursuivre touxtes et nous construirons une défense collective. La deuxième question qu’ils peuvent poser, c’est : « Combien de temps allez-vous rester ? » Là encore, préférons les réponses évasives : « On sait pas, on verra bien, ça dépend du soleil. »

Ensuite, ils nous demandent d’évacuer le péage, mais ce n’est pas prévu pour tout de suite ! À partir du moment où la troupe est là, un rapport de force s’installe : celui du nombre. Si nous sommes nombreuxses, jamais la troupe n’engagera une opération pour vider le péage, parce qu’iels se mettraient en danger. Il faut garder en tête que le péage est un lieu dangereux. Pour mener une évacuation, la troupe va devoir vider la sortie d’autoroute en amont et en aval, de sorte qu’il n’y ait aucune voiture pour une intervention sans danger. Là est notre avantage, la troupe a besoin de déployer un important dispositif et des effectifs conséquents, s’iels décident de nous sortir manu militari. Iels vont donc appeler des renforts, si renforts il y a, et ils mettront du temps à arriver. C’est un enjeu stratégique majeur que de faire déplacer des membres de la troupe : ça peut permettre à d’autres groupes amis de mener des actions ailleurs. La tactique que je propose dans ce tutoriel consiste à quitter le péage une fois que les renforts arrivent en nombre suffisant et que le rapport de force bascule en leur faveur. On peut négocier 10, 20, 30 minutes supplémentaires, ça ne coûte rien si la situation s’y prête ! Préférons une posture pacifique pour ce type d’action. N’oublions pas qu’ici, le cœur et le sens, c’est la redistribution des richesses pour les automobilistes4.

La troupe ne doit pas accaparer notre attention, elle ne la mérite pas. Bien sûr, l’autodéfense populaire et la solidarité en cas d’agression doivent être un réflexe5. Rappelons-nous que si nous occupons un péage une ou plusieurs heures, ce sont déjà des centaines, voire des milliers d’euros, qui restent dans les poches de celleux qui comptent à nos yeux. Soyons satisfaixtes et donnons-nous rendez-vous une prochaine fois !

Quand nous décidons de partir, à nous de voir si nous voulons laisser le lieu dans l’état où nous l’avons trouvé en remettant les caméras en place et en récupérant nos pancartes. Il peut être plus malin de récupérer le scotch qui garde une bonne mémoire de nos empreintes et de récupérer nos banderoles pour la prochaine fois. Aussi, n’oublions pas une règle d’or : ne jamais laisser personne isoléex, pour ne pas créer une vulnérabilité accrue face à des membres malintentionnés de la troupe. Ce que l’on se dit souvent entre Gilets jaunes quand on part en action c’est : « si on part à cinq, on revient à cinq ». Cette vigilance doit prévaloir dans les groupes d’affinité, mais aussi dans les groupes élargis quand il y a plus de monde.

Sur une action péage gratuit, vous pouvez mettre en place une caisse de grève ou une caisse solidaire. Lors du mouvement contre la réforme des retraites (hiver 2020), des syndicalistes, des retraitéexs et des Gilets jaunes m’ont raconté qu’iels ont récolté plus de 2 000 euros pour les travailleureuxses en grève au péage de Cluses en Haute-Savoie. Il faut se dire que les automobilistes ayant prévu de s’acquitter de la taxe ont souvent déjà préparé de la monnaie avant d’arriver au péage. Heureuxses de découvrir le péage gratuit, iels soutiendront volontiers votre cause. C’est d’ailleurs une action très appréciée qui va nous permettre de visibiliser et de populariser nos luttes. Il y a aussi des automobilistes qui vont être un peu déboussoléexs et qui vont parfois freiner ou changer de voie au dernier moment. Nous devons prévoir des pancartes claires et visibles pour les informer à bonne distance.

Notre rôle est aussi de les accompagner dans cet acte de désobéissance civile notamment en leur expliquant que leurs plaques d’immatriculation ne seront pas relevées par les caméras (que nous avons pris soin d’obstruer). S’iels souhaitent quand même donner leur argent aux actionnaires, grand bien leur fasse, laissons-les faire, mais vous verrez, c’est assez rare.

Et voilà, quand est-ce qu’on part sur le péage le plus proche ? Cette action n’est bien évidemment pas la seule à réaliser et n’est pas magique. D’ailleurs, tous les pays ne sont pas équipés de péages, et heureusement. Ce tutoriel est aussi conçu pour nous permettre d’exercer notre imagination à réaliser des actions possibles et pour s’éduquer ensemble à l’action directe°. Revenons aux objets que nous avions étalés devant nous, je vous laisse imaginer tout ce qui peut être possible avec un peu d’organisation


  1. Lire Camouflage dans l’infosphère [no 40] pour quelques éléments de sécurité numérique. 

  2. L’usure ordinaire [no 6] offre quelques réflexions sur les points de rendez-vous et l’organisation. 

  3. Survivre dans un black bloc [no 15] propose une réflexion tactique sur le fait de se changer et sur l’anonymat dans la rue. 

  4. Lire Comment bien rater un contrôle technique ? [no 54] pour un questionnement automobile. 

  5. Spectacle nulle part. Care partout [no 23] propose une réflexion sur l’autodéfense face à la police. 

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