nous sommes partout

nous sommes partout

Cette colère immense, collective, transgénérationnelle, internationale

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

l’une :

— je suis en colère

l’autre :

— moi aussi

nous sommes deux amies qui nous sommes rencontrées alors que nous nous découvrions selon certaines évidences écoféministes°

éco comme le vivant, la vie — féministes comme le vivant, la vie.

Étant donné que le terme écoféminisme pourrait nommer une forme d’appartenance, d’inscription dans tout le reste, une notion de ne pas se sentir toute seule, nous sommes deux pour le découdre-recoudre à notre guise, en parler, pour le préciser jusqu’à ce qu’il nous soutienne et que l’on puisse le soutenir aussi.

Nous sommes des filles blanches hétéras dans notre trentaine, et nous considérons que c’est un minimum incompressible de dire ça pour situer d’où nous parlons. Nous ne croyons pas à l’universel.

chœur/touxtes :

Ça vient du bas

De femmes*° qui en avaient marre qu’on défonce tout autour d’elles, qu’on défonce les femmes* les arbres les terres les rivières les vaches1.

Et qui voyaient bien que tout cela se tenait ensemble, tout ce qui se faisait défoncer d’une part, et (ce) qui défonçait de l’autre.

Ça vient de là.

l’une dit :

Moi on m’a dit écoféministe bien avant que moi je le dise. C’est un peu ça aussi, c’est un truc un peu logique, pas un véritable choix politique conscient.

Je faisais un peu attention autour de moi.

chœur/les deux :

On faisait un peu attention à autour de nous.

On a eu peur de la « femme sauvage » cachée derrière le terme.

De l’idée d’être naturellement plus naturelle, donc plus écologiste. D’être les filles de la terre mère et c’est tout. Alors on a refusé.

Ensuite on a bien senti qu’on pouvait aussi fleurir là-dedans un peu, y germer, y composter2. Dans ce terme. Qu’il peut être fort et porteur, si on le laisse pas juste dire femme-louve qui court sous la lune par pulsion.

Ce ne sont pas nos pulsions qui nous font courir, ce sont tour à tour les assauts à lancer contre ce qui nous défonce ou la joie qui nous anime, souvent c’est mélangé d’ailleurs.

Notre féminisme est antipatriarcal donc anticapitaliste, donc anticolonial, donc anticlassiste, antivalidiste et globalement antitout ce qui nous sépare tant. On le veut le plus inclusif possible, le plus radical aussi, au sens de déterminé. Fini de rire. Sauf qu’on rit tout le temps ensemble. La chose la plus radicale qu’on fait ensemble c’est se fendre la gueule littéralement. On est pliées de rire. On dit des bêtises absurdes et des jeux de mots magiques, on imite nos proches et nos douleurs et on rigole à pisser dans nos culottes.

Notre féminisme est en friche, il est compliqué à surveiller comme le lait qui bout car parfois il blesse celleux que nous aimerions embrasser avec tendresse. Il se prête bien à la métaphore. Aussi on en a maaaaaarrrre. Il est nourri de ça.

On fait feu de tout bois, on boit des tisanes parce qu’on sait les préparer et parce que soit ça soigne, soit ça tue, et on a envie d’avoir un spectre aussi large que cela. On fait pousser de la moutarde parce que ça pousse partout. C’est faire avec ce qu’il y a, en conscience et en vigilance. Ça donne l’impression d’appartenir à un monde plus vaste quand même, faut pas oublier de le dire, on se sent quand même vraiment en faire partie, tout en se sentant quand même souvent moins faire partie d’une certaine version du monde plus restreinte, le monde patriarcal qui est tout tout tout petit si on compte en atomes de vie et qui pourtant fait si mal, comme un bris de verre empoisonné dans notre talon qui nous TUE alors qu’il est SI PETIT, ça devrait pas, si tout était juste logique.

l’une dit :

Littéralement toute la monde est oppressée par le patriarcat.

l’autre dit :

Notre féminisme en friche est un écoféminisme, parce qu’il dit que l’oppression, la colonisation et l’exploitation de la société occidentale et patriarcale ont créé des dommages environnementaux irréversibles. Il visibilise l’articulation de la domination de la nature — au sens de tout ce qui n’a pas été créé par les êtres humains — et la domination de tous les groupes minorisés — femmes*, LGBTQIA+, personnes racisées°, malades, enfants, pauvres, animaux. Il n’y a pas l’un ou l’autre à combattre, c’est le tout qui défonce tout ce que l’on combat. C’est par une révolution féministe-écologiste impliquante décoloniale et anticapitaliste que nous bouleverserons les violences de domination.

l’une dit :

et puis j’ai rencontré dans les témoignages et les centaines de pratiques une radicalité encourageante.

elles rigolent

notre amie dit : Il n’y a pas de rupture, il n’y aura pas de fin du monde du jour au lendemain. Elle prendra son temps et ce n’est qu’en créant une solidarité humaine et interespèce que nous la vivrons en respectant les vulnérabilités, en cohabitant dans les ruines et en se débarrassant de l’individualisme.

Nous devons revendiquer des changements structurels contre les dominations, afin de prendre en compte que le niveau de violence variera beaucoup avec ou sans ces changements.

l’autre dit : on a moins peur de la violence du futur que de la violence actuelle.

l’une dit :

Les écoféministes décoloniales, trans-inclusives et anticapitalistes n’acceptent pas le deuil de la fin du monde. Elles désespèrent peut-être individuellement mais se mobilisent collectivement avec rage. Les voies de l’écoféminisme sont tout aussi possibles que d’autres scénarii. Ces luttes s’inscrivent dans une longue temporalité dense et multiple sans rupture d’un effondrement préprogrammé.

l’une dit :

Ça nous porte aussi cette longue temporalité. Ce n’est pas un point cardinal pour moi l’écoféminisme, pas un recueil de règles qui me guident dans la vie, c’est un terme plus ou moins concis et pratique pour mentionner de manière rapide la somme de mes émotions et mes pratiques quotidiennes, mes réflexions critiques comme mes intuitions. C’est pour ça qu’on passe tant de temps à y ajouter des autres termes, à le tricoter ensemble pour pas qu’il soit comme un terme qui flotte au-dessus de nous et nous mette mal à l’aise. La joie dans ce terme, c’est justement qu’il était un plus, un fluidifiant, un résumé de nos élans.

Mais dernièrement l’autre a dit : stop ! on arrête ce terme, ça va plus, c’est devenu trop ambigu, ça veut trop dire de choses excluantes maintenant.

Ça m’a questionnée, moi je préfère ne pas abandonner trop de termes, mais plutôt les définir quand je les utilise. Il n’empêche qu’on continuera à lutter, à taguer, à cultiver, à s’enrager et à articuler ensemble les destructions parallèles.

l’autre dit :

Surtout que de manière générale, j’ai la sensation que certains mouvements écologistes actuels font table rase du passé en omettant de s’inscrire dans une continuité historique. Alors que les luttes autour de l’écologie sont une longue tradition vivace et multiple. Ainsi, en créant des formes de générations spontanées de mouvements, le risque, et c’est ce qui se passe, c’est d’invisibiliser des luttes précédentes.

et notre autre amie nous rappelle que :

c’est dingue à quel point l’occident a besoin de nommer, de prendre et de s’approprier…

l’une dit : je crois que oui, ce terme est surtout important pour nous occidentales, pour rassembler, décrire, faciliter la construction de ponts entre des centaines de pratiques partout sur terre et de la théorie qui nous parle de nous. Il me permet de m’inscrire avec humilité et joie du côté de toutes ces personnes qui défendent leurs vies et celles de tout ce qui les entoure de manière créative, à la fois désespérée mais pleine d’espoir et surtout de manière efficace. Comme on n’a pas le même système de valeurs que les dominants, on n’a pas le même point de vue sur les victoires.

l’autre dit :

Il s’agit de devenir une tempête plus forte que le cyclone néolibéral, patriarcal, injuste, raciste. Je suis en colère et j’ai envie de casser des choses. Mon genre a été socialisé° sans cette colère immense, collective, transgénérationnelle, internationale3. Je suis en colère et j’ai envie de casser des choses avec une rage émancipatrice.

l’autre dit :

La durabilité n’est pas un luxe, pub récente d’une grosse entreprise de meubles à bas coûts : un monde meilleur commence chez soi.

Depuis, cette phrase me trotte dans la tête. J’exècre cette phrase. C’est tout ce contre quoi j’essaie de me battre. C’est tout ce qui me débecte et elle dit tout. Un monde meilleur → chez soi. C’est la quête de l’absence de trouble. L’apathie avec passion. La décoration avant tout. Tout ça, pour nous refourguer une cheap lampe en bambou. Tout y est, la néocolonisation et l’impérialisme occidental qui délocalisent ses troubles pour atteindre l’éden intérieur, le paradis sur terre.

l’une dit :

le paradis sur terre sous forme d’enclos privé. Un jour j’ai lu « ici c’est la terre, ça ne sera jamais le paradis » ça m’a tellement soulagée.

l’autre dit :

Comment peut-on si éhontément écarter la production et les conditions de travail dans lesquelles ces lampes ont été fabriquées? Je suis en colère et j’ai envie de casser des choses.

l’autre dit :

Et après, c’est la réponse collective que je souhaite défendre, l’organisation et l’autogestion qui consiste à prendre soin des individus humains, non humains dans tous les temps, pandémiques ou non. Et le renvoi de la responsabilité à l’état et au capitalisme. Il s’agit de devenir une tempête plus forte que le cyclone néolibéral, patriarcal, injuste, raciste. Je suis en colère et j’ai envie de casser des choses. Mon genre a été socialisé sans cette colère immense, collective, transgénérationnelle, internationale. Je suis en colère et j’ai envie de casser des choses avec une rage émancipatrice.

chœur/touxtes :

Ça vient du bas

De femmes* qui en avaient marre qu’on défonce tout autour d’elles qu’on défonce les femmes* et les autres, les arbres les terres les rivières les vaches et les autres.

Se dire écoféministes ça a juste donné un nouveau nom à ce que l’on faisait déjà, et ça a permis de se sentir plus nombreuxses, ce qui nourrit nos vies.

Elles soupirent, s’étirent, se sourient et s’y remettent.


  1. Là-haut sur la Colline [no 51] est le récit d’une expérience de ZAD° contre la destruction programmée d’une colline. 

  2. Pour envisager une révolution hautement biodégradable, lire Le compost généralisé [no 41]. 

  3. Pour entendre une colère non binaire, queer, trans, pédéex, grossex, hyperactivex et HP, lire Un terreau pour les fleurs de la révolte [no 52]. 

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