nous sommes partout

nous sommes partout

En el feminismo, lo personal es político

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

Je commence par me présenter. J’ai 41 ans et je suis militante féministe depuis un an et demi. On peut dire que je suis devenue militante féministe affichée à mes 40 ans, date qui correspond à la grande Grève Féministe du 14 juin 2019. Je suis moitié chilienne, moitié suissesse (tessinoise) et j’ai vécu mon enfance et ma jeunesse un peu partout dans le monde. Ça fait treize ans que je me suis fixée à Lausanne, je me considère comme Lausannoise d’adoption et, enfants obligent, je pense que c’est parti pour une autre décennie. En termes professionnels, je suis sociologue de formation et mon parcours s’est concentré sur l’enfance, la famille et l’accueil de l’enfance (garderies, crèches, parascolaire). D’ailleurs, aujourd’hui je travaille dans une institution pour l’enfance en tant qu’éducatrice.

Ma famille est composée de moi, mon fils Noah qui a neuf ans et Ela qui en a cinq. J’ai eu Noah dans le cadre d’un mariage tout à fait traditionnel et je me suis séparée de son père lorsqu’il avait un an et demi. Le père en question n’a ni accepté une garde partagée ni un lien régulier avec Noah, alors je suis devenue mère solo.

Pour Ela, l’histoire est différente. Je voulais un deuxième enfant et j’avais commencé à creuser différentes options. Entre-temps, je suis tombée enceinte d’une relation purement sexuelle que j’entretenais avec son géniteur. Il n’a pas voulu entendre parler de cet enfant en devenir et m’a d’ailleurs demandé d’avorter. De toute évidence, il ne connaît pas le slogan « mon corps, mon choix ». J’ai subi une grande pression sociale pour avorter, « parce que c’était salaud que je fasse ça à un mec qui ne voulait pas d’enfant », « parce que c’était égoïste d’amener un enfant au monde en sachant qu’il n’aurait pas de père », etc. J’ai décidé de garder ma fille et aujourd’hui je pense que c’est l’acte de militance le plus puissant que j’ai fait, même si à l’époque je ne le concevais pas ainsi.

Bref, je suis devenue militante à l’âge de 40 ans. Je ne suis pas une militante historique, une personne qui a consacré toute sa vie à des engagements militants. Je pense que j’ai compris, de par mon parcours personnel et le contexte global historique dans lequel nous vivons aujourd’hui, que j’étais effectivement une féministe et qu’il fallait que je m’engage. Je ressentais comme un fort besoin existentiel de m’engager.

Jeune, j’ai traversé toute une série de souffrances qu’aujourd’hui seulement je peux qualifier de souffrances liées à mon « être femme » : des souffrances de genre infligées par la violence d’une société patriarcale. Je pourrais te parler des poils, de combien on s’est moqué de moi, car je suis une femme noiraude assez poilue1. Des commentaires de certains partenaires sexuels, du style « tu penses pas que ça serait plus hygiénique si tu t’épilais la chatte ? » ou de la difficulté que j’ai eue à me mettre en maillot de bain, car je n’étais pas parfaitement épilée (et bien sûr, aussi parce que je n’avais pas un corps qui ressemblait à la beauté féminine véhiculée par les médias et la société). Si on y pense, le temps et l’énergie que j’ai consacrés à un thème aussi banal que les poils, c’est juste aberrant !

Je pourrais aussi te parler de sexualité. J’étais une fille très libre, si j’avais envie de baiser, je baisais. À l’époque, j’étais au Chili, dans une société qui a une mentalité rétrograde en ce qui concerne la place de la femme. On en était encore à imposer la virginité avant le mariage. Moi je ne comprenais pas, j’sais pas… j’avais des copines qui me conseillaient de jouer la dure par exemple, de ne pas céder aux premières avances, etc. Je comprenais pas pourquoi je devais me priver de l’envie que j’avais pour le jeu de la séduction. Une fois, mon père m’a même accusée d’être une libertine ! Je me demande s’il aurait fait le même commentaire à un fils. Étant une fille libre et sans peur, j’ai fait plein de choses dans ma jeunesse qui sont considérées comme « dangereuses » pour une jeune femme. Me promener tard le soir dans certaines rues, faire du stop, me bourrer la gueule dans une fête où je ne connais personne, m’habiller de manière « trop » dénudée dans certains contextes, aller choper un peu de weed dans la rue, etc.2 Et nous, les femmes*°, on a tellement intériorisé ça, que je me grondais toute seule ! Je me disais que c’était irresponsable de faire ceci ou cela et que c’était un miracle que rien de grave ne me soit jamais arrivé. J’ai longtemps dit, en rigolant, que j’avais un ange gardien qui me protégeait. Je n’arrivais pas à m’expliquer ma « chance ».

D’un côté, il y a tout ce vécu individuel, ce parcours personnel, et de l’autre, il y a le 14 juin 2019. Je sortais d’une crise dépressive suite à une rupture amoureuse, à un déménagement et, qui sait, probablement que fêter mes 40 ans au milieu de tout ça n’a pas aidé. Le jour de la grève (un vendredi), c’était mon dernier jour d’arrêt maladie et j’ai participé aux 24 heures de la grève. Et là, wow, quelle claque ! Cette journée a marqué ma vie, comme celle de beaucoup d’autres femmes* je crois. Je ne me suis plus sentie seule. Pendant toute la nuit du 13 et la journée du 14, j’ai vu et discuté avec des femmes* qui partagent mes souffrances, mes problèmes et qui se posent les mêmes questions que moi. Mes souffrances passées et présentes ont pris une tout autre dimension : d’individuelles, elles sont devenues collectives. Récemment je suis tombée sur une phrase qui est devenue mon mantra, car elle dit tout : « en el feminismo, lo personal es político ».

Ce jour-là, mon engagement dans le mouvement féministe est devenu une évidence. Je me suis toujours définie comme féministe, je me rends compte aujourd’hui que c’est un peu parce que je suis une nana « de gauche », une nana sociologue, que j’ai toujours été le type de nana qui revendique son appétit sexuel, etc. Je pense que ça suffisait pour me déclarer un peu féministe, un peu grande gueule si tu veux. Aujourd’hui, il y a un mouvement qui m’a permis de mettre des mots et de dire « oui, c’est évident que je suis féministe », mais avec plus de conscience, plus d’appuis aussi.

Donc me voilà toute fraîchement engagée dans le collectif de la Grève Féministe vaudois, qu’au Chili éclate un énorme conflit social et que le collectif LasTesis crée la performance « Un violador en tu camino ». En l’espace de quelques jours, cette performance est reprise dans le monde entier, donc pourquoi pas la reprendre ici, à Lausanne ? Avec un petit groupe de Chiliennes, on a réussi, en dix jours, à rassembler environ 200 personnes à la Place Saint-Laurent. Des jeunexs et des moins jeunexs, des mères avec leurs filles, des Chiliennexs et des Suissessexs, des militanxtes et des non-militanxtes. Ensuite, on a refait la performance plusieurs fois à l’occasion du 8 mars, et à chaque fois le résultat a été incroyable ! Cette chorégraphie et ces paroles résonnent tellement fort chez nous touxtes ! « La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit », cette phrase dit l’essentiel !

Chez moi, ces phrases ont réveillé les souvenirs de toutes ces années passées à me dire que je devais faire gaffe si je ne voulais pas que quelque chose de grave m’arrive. Si on regarde le nombre de fois, le nombre de pays et le nombre de langues dans laquelle cette performance a été reproduite, on peut bien imaginer que c’est parce qu’elle parle aux femmes* du monde entier.

Je sais pas si t’as vu Las Tesis senior au Chili. Elles ont fait un appel aux femmes* de plus de 40 ans. Elles étaient 1 000 dehors, au stade national — un lieu emblématique lié aux tortures de Pinochet — 1 000 nanas à faire la choré ! Et là, tu vois des femmes* qui ne sont pas militanxtes. Et c’est justement ça, cette choré, elle sort des femmes* dans la rue qui ne sont pas des militanxtes, qui ne sont pas politiséexs, qui sont touchéexs parce que ça parle de leur quotidien.

Assez vite dans mon engagement auprès du collectif, j’ai réalisé que les mères et les thématiques autour de la maternité étaient très peu présentes dans le mouvement. Et c’est MON thème ! Comme je disais avant, il m’a fallu du temps, mais j’ai désormais compris que ma famille est un acte militant. Parce qu’on peut être une famille sans appliquer la formule « papa, maman et deux gosses (si possible une fille et un garçon) ». Et surtout, on peut être une famille heureuse.

La beauté de l’engagement dans un mouvement comme le nôtre, c’est les rencontres. J’ai rencontré tellement de personnes incroyables ces deux dernières années ! Au fil des rencontres et des échanges, l’idée de créer un groupe de travail sur la maternité est née : le GT Maternités Féministes. Depuis quelques mois, nous sommes une quinzaine de femmes* à travailler sur un manifeste. Parmi nous, il y a aussi des non-mères. Chaque dimanche matin on se retrouve virtuellement (Covid-19 oblige), mais en tant que mères, on se rend compte de l’utilité des outils numériques. Sans ça, on n’aurait jamais pu faire autant de réunions pour discuter de ces thématiques. Chacunex a son parcours de vie, son parcours de couple et/ou de non-couple, son parcours professionnel, son parcours maternel, etc. Autour de la maternité, on se rencontre, on partage nos difficultés, nos frustrations, nos idées pour un monde meilleur.

On partage touxtes, indépendamment de notre état civil ou de notre situation familiale, une grande colère envers une société qui nous a surresponsabiliséexs envers les enfants, une société où les mères sont les seulexs référenxtes et donc les seulexs responsablexs et une société qui nous a laisséexs sans aucun soutien. Nous rêvons d’une société qui valorise le travail éducatif et le travail de soin qu’apportent les mères. Nous luttons contre une société qui nous impose le mythe de la mère parfaite, en nous mettant d’emblée en échec dans tous les rôles que nous assumons. Nous militons pour une société qui fout la paix aux femmes*, qu’elles veulent ou non devenir mères ! Nous nous battons pour notre santé gynécologique et la liberté dans nos choix ! Nous crions pour que la collectivité tout entière assume ses responsabilités vis-à-vis des enfants !

Texte de la version lausannoise bilingue de la flashmob « El violador eres tu » écrite en 2019 pour la Grève Féministe

Premier son du sifflet, on met en place les rangées.

La musique techno commence. Les participanxtes frappent des pieds pour marquer le rythme.

Iels pivotent sur leurs talons et se balancent d’un côté puis de l’autre

(4 fois, sans chanter).

Au deuxième coup de sifflet, iels chantent. Le même mouvement, sur deux temps sans chanter, est répété entre chaque phrase.

El patriarcado es un juez/que nos juzga por nacer

Y nuestro castigo/es la violencia que no ves

El patriarcado es un juez/que nos juzga por nacer

Y nuestro castigo/es la violencia que ya ves.

Le patriarcat est un juge/qui nous juge dès la naissance

Et notre punition/c’est la violence que tu vois. (2x)

(Un squat les mains derrière la tête une fois qu’elles finissent de chanter.)

Es femicidio

Impunidad para mi asesino

Es la desaparición

Es la violación.

(Les participanxtes dansent sur place en bougeant les bras.)

Y la culpa no era mía ni dónde estaba ni cómo vestía. (4x)

La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit. (4x)

(Index gauche pointé vers l’avant à « tú »/« toi », baissé en début de phrase.)

El violador eres tú. (2x)

Le violeur c’est toi.

Le coupable c’est toi.

Son los pacos/c’est les flics ! (Poing en haut à gauche.)

Los jueces/c’est la justice ! (Poing en haut devant.)

El Estado/c’est l’État, la société, le patriarcat tout entier

(De leurs mains, elles dessinent un cercle au-dessus de la tête.)

C’est l’État, la société, le patriarcat tout entier ! (Bras en croix au-dessus de la tête.)

(On lève le poing gauche en rythme.)

El estado opresor es un macho violador. (4x)

(Index gauche pointé vers l’avant à « tú »/« toi », baissé en début de phrase.)

El violador eres tú. (2x)

Le violeur c’est toi.

Le coupable c’est toi.

Y la culpa no era mía ni dónde estaba ni cómo vestía. (4x)

La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit. (4x)

(Index gauche pointé vers l’avant à « tú »/« toi », baissé en début de phrase.)

El violador eres tú. (2x)

Le violeur c’est toi.

Le coupable c’est toi.

(Les participantes dansent sur place en bougeant les bras.)

(Les mains en porte-voix de chaque côté de la bouche.)

Patriarcat t’es foutu, les femmes* sont dans la rue ! (4x)

El violador eres tú. (2x)

Le violeur c’est toi.

Le coupable c’est toi.

Duerme tranquila/niña inocente

Sin preocuparte del bandolero

Que por tus sueños/dulce sonriente

Vela tu amante carabinero.

(Index gauche pointé vers l’avant à « tú »/« toi », baissé en début de phrase.)

El violador eres tú. (2x)

Le violeur c’est toi

Le coupable c’est toi.

Y la culpa no era mía, ni dónde estaba, ni cómo vestía. (4x)

La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit. (4x)

(Cris de joie.)


  1. Nos corps, nos choix, il y a les poils et il y a les seins : Cachez vos tétasses ou rembourrez-les et laissez-nous tranquilles [no 24]. 

  2. Pour réfléchir à des fêtes féministes et bienveillantes, lire La fête est finie [no 20]. 

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