nous sommes partout

nous sommes partout

Je suis une pute

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

Je suis une pute.

Intriguéexs ? Dégoûtéexs ? Envie de m’avoir ? Cela peut vous choquer, mais je m’en fous. Vous vous demandez peut-être pourquoi je fais ça ? Vous vous dites qu’il y a forcément d’autres manières de gagner sa vie ? Que c’est de la thune facile1 ? Que je suis accro au sexe ? Que je n’ai pas d’autre choix ? Je n’ai pas de comptes à vous rendre, mais je vais vous laisser entrer dans ma vie privée, le temps de ce texte.

Tout a commencé par une envie de faire du téléphone rose — il paraît que j’ai une voix adaptée pour ça — mais je ne savais pas où trouver les informations pour me lancer. Ensuite, j’ai voulu être strip-teaseuse, j’aime danser, ça aurait pu être fun, mais là encore, je ne savais pas comment m’y prendre. Je me suis dit que ça serait plus simple de s’informer sur le métier de prostituée. C’est l’amie d’une amie, elle-même pute, qui m’a expliqué comment elle s’y est prise pour débuter. J’en ai parlé à plusieurs potes qui avaient aussi envie de commencer. Je vous assure, il y a plus de travailleureuxses du sexe ou de futurexs travailleureuxses du sexe qu’il n’y paraît.

Alors, comment devient-on travailleureuxse du sexe (ci-après TDS) ? On ne s’en rend pas forcément compte, mais le TDS, c’est pluriel : il y a mille manières de le pratiquer. Dans la rue, sur internet, via les annonces de journaux, avec plusieurs clients réguliers, avec un seul client régulier, uniquement avec des premiers coups, dans la rue, dans une voiture, dans ta chambre, chez les clients. Je vais vous présenter une méthode parmi d’autres, la mienne, celle qui me permet de rester anonyme et de m’assurer que mon entourage ne l’apprenne pas.

  1. S’inventer un faux nom. On a touxtes voulu s’appeler autrement à un moment donné dans notre vie, c’est l’occasion : Sacha, Monika, Cerise, Cannelle…
  2. Se construire une fausse identité avec une fausse histoire, tout en restant plausible. Inventez-vous une histoire et soyez prêxtes pour les questions. Ne dites pas que vous êtes étudianxtes en physique si vous ne connaissez pas les lois de Newton. Souvent, les clients aiment vous écouter parler de vos études, de votre boulot, de votre vie. Il m’est déjà arrivé de dire des trucs contradictoires sur mon année d’étude et sur mon âge. J’ai dû improviser toute une histoire selon laquelle j’avais sauté des classes pour que les deux puissent correspondre.
  3. Prendre des photos de votre corps. Les photoshootings avec unex pote, c’est plus marrant. Perso, je conseille d’éviter de faire circuler des photos de votre visage pour éviter de se retrouver dans une situation de stalking (harcèlement) ou d’extorsion.
  4. Fixer une tranche salariale qui vous semble correcte. Je dirais 200 CHF minimum par heure et 400 CHF minimum par soirée. Perso, j’ai réussi à me faire jusqu’à 700 CHF par soirée. Pour garantir l’anonymat, n’acceptez que le cash.
  5. Créer un compte, par exemple sur petitesannonces.ch. Dans la rubrique érotique, vous pouvez trouver des annonces ou en poster vous-mêmes. Présentez-vous un minimum, dites ce que vous aimez et explicitez bien vos limites. Les clients n’aiment pas forcément les « professionnellexs », se présenter comme unex TDS occasionnellex peut être avantageux. Un client m’a dit une fois que les « professionnellexs » le considèrent comme un simple moyen de gagner de l’argent, comme un client parmi d’autres, que le temps est trop bien calculé, etc. Bref, que ça ressemble trop à du boulot. Il y a aussi énormément de mépris, certains trouvent que les TDS qui pratiquent depuis longtemps sont « salexs » ou « étiréexs du vagin ».

Jusque-là, ça paraît simple, facile et efficace, mais en ce qui me concerne j’ai découvert la dose de travail qu’il peut y avoir entre le moment où tu mets ton annonce et le moment où tu reçois ta thune.

Sur 40 messages envoyés, 25 répondent. Sur ces 25, 15 seulement poursuivent l’échange. Sur ces 15, 10 demandent un rendez-vous, sept annulent à la dernière minute et 2 ne vont simplement pas se pointer au rendez-vous. Quand il y a trop de messages et que ça n’aboutit pas à un rendez-vous ou que vous ne le sentez pas, passez à autre chose. Il ne faut pas forcément s’accrocher aux premiers venus, c’est pas grave, je vous assure, il y aura d’autres clients. Les clients réguliers, c’est super pratique. Ça évite de mettre trop d’énergie dans les échanges de mails et du point de vue de la confidentialité et de la sécurité, c’est plus facile à gérer. Franchement, si je pèse le temps passé à échanger, à planifier, à me déplacer et l’argent effectivement gagné, c’est pas aussi bien payé qu’on peut se l’imaginer. Alors pourquoi continuer ? Je trouve ça thérapeutique. Je le vis comme une prise de pouvoir sur les mecs cis°. J’ai un passé d’abus sexuels. Avec mon premier client, je me suis sentie étonnement en sécurité, encore plus qu’avec les partenaires que j’avais pu avoir auparavant. Ça m’a fait réfléchir. Évacuer tout aspect sentimental, ça a été un énorme pas pour réussir davantage à gérer ma sexualité.

Quand j’ai rencontré mon premier client, je suis restée allongée sur le dos, avec sa tête entre mes jambes, sa langue sur mon clito. C’était son kink, le seul truc qu’il voulait faire : je me plains pas. Ce soir-là, je me suis sentie puissante, j’ai repris une forme de pouvoir, quelque chose qui m’a aidée à continuer à soigner les blessures de mon enfance. Depuis, avec chaque nouveau client, je reprends encore davantage le contrôle sur ma sexualité et je profite un peu plus du système patriarcal qui m’est imposé.

Petites anecdotes :

Une fois, avec un client, on est passé en voiture à côté d’un lieu où se trouvaient mes parents. Je me suis baissée d’un coup dans la voiture et mon client n’a rien compris. Réfléchissant, après coup, j’aurais pu leur dire que je faisais du stop.

Une fois, j’ai eu l’occasion de parler d’anarchisme à un ancien communiste, devenu capitaliste. C’était une discussion assez constructive et c’était fun de parler de ça dans ce contexte. Je me suis demandé si, en me décrivant comme anarchiste, je n’en avais pas un peu trop dit sur mon identité. Oups.

Une fois, pendant qu’un client me faisait un cunnilingus, j’ai joui et j’ai crié fort, sans faire exprès, « PUTAIN ! ». C’était la première fois de ma vie que je criais un mot pendant un orgasme et il s’avère que c’était un mot pour exprimer une jouissance, un plaisir. Putain. Ce mot est utilisé à tort et à travers tout le temps. Arrêtez d’utiliser ce terme comme une insulte ou comme un juron, apprenons à le considérer d’une manière nouvelle, comme un mot plein de force, de joie et de jouissance.

Pourquoi ne pas profiter de ce système patriarcal qui nous est imposé ? Ce système que nous subissons sans choix et qui nous objectifie ? C’est justement parce qu’il fait de nous des objets que nous pouvons choisir d’utiliser ses outils contre lui, comme un ressort pour renverser les positions de pouvoir. Contrairement aux propos putophobes de certainexs féministes qui veulent abolir la prostitution2, ce n’est pas toujours quelque chose que l’on subit, au contraire, pour certainexs, c’est un moyen de reprendre le contrôle, un moyen de lutter, et parfois, tout simplement, un moyen de bouffer.

Le TDS est un boulot et, comme tout boulot, il y a des disparités dans les conditions de travail. Pour réfléchir à la prostitution et à ses implications en matière de genre, c’est plus facile de réduire ce métier à une seule réalité, véhiculée par l’imaginaire obscur qui hante la figure de la pute. Mais il est plus juste de maintenir la complexité que l’on peut observer sur le terrain, sur les terrains. Et puisqu’il y a, effectivement, des réalités plus dures pour certainexs TDS que pour d’autres, créons des syndicats, améliorons leurs conditions de travail, faisons des manifs et crions fort, sans jamais oublier que…

…le TDS peut être libertaire. On a touxtes le droit au plaisir sexuel sans amour.

…le TDS peut être subversif, parce que le sexe est un terrain de lutte sur lequel on peut déstabiliser le patriarcat.

…le TDS, donc la marchandisation du sexe, peut être un retournement du rapport social de production.

…le TDS est aussi un travail social.

…le TDS, c’est un peu du théâtre dans lequel tu représentes une figure féminine type sans obligation de l’être véritablement.

…le TDS vend le fantasme d’une domination masculine, mais il ne la reproduit pas nécessairement, ce n’est qu’un échange, une transaction.

Pour des rencontres, vous pouvez m’écrire sur telegram… et c’est 600 CHF la soirée 😉.


  1. Nous sommes touxtes des putes [no 42] aborde aussi ce préjugé de l’argent « facile » lié au travail du sexe. 

  2. Pour d’autres paroles abordant la question du féminisme abolitionniste°, lire Pas de féminisme sans les putes ! [no 37] et Nous sommes touxtes des putes [no 42]. 

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