nous sommes partout

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L’absurdité des amendes qui permettent de socialiser un peu

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

En tant que collectif qui lutte dans le domaine de l’asile1, on fait un travail de soutien, d’information et d’accompagnement des personnes qui sont dans une procédure d’asile ou en dehors, mais on fait aussi un travail de dénonciation et de revendication tant au niveau politique que public. Et parfois, il arrive que ces deux niveaux soient contradictoires.

Une des nombreuses absurdités du domaine de l’asile, c’est que les réquéranxtes d’asile déboutéexs — c’est-à-dire les personnes qui n’obtiennent pas le droit d’asile — doivent quitter le territoire. Comprendre : elles n’ont pas le droit de rester en Suisse. Si les autorités en ont les moyens, elles vont arrêter ces personnes et les mettre dans le prochain avion pour les expulser. Mais, en pratique, les procédures d’expulsion prennent souvent des années. D’où l’absurdité : ces personnes restent parfois huit, neuf, dix ans en Suisse, sans avoir le moindre droit de séjour. Elles restent toutes ces années dans des foyers pour requéranxtes déboutéexs, dans des conditions dégueulasses, dans des baraques pourries louées par des propriétaires qui se font plein d’argent. Et une fois par semaine, ces personnes doivent se rendre à la police des étrangèrexs — maintenant c’est devenu le service de la population, ça fait plus joli… — pour recevoir un tampon qui permet ensuite de recevoir l’aide d’urgence. Donc en gros, ces personnes n’ont aucun droit de séjour en Suisse, elles sont complètement illégales, mais leur présence est tout à fait officielle et contrôlée, donc légale quoi. Et bien sûr, quand ces personnes se promènent en ville, elles se font régulièrement contrôler par la police et elles reçoivent des amendes pour séjour illégal. Ces amendes peuvent s’accumuler. On a par exemple le cas d’une personne qui a reçu neuf amendes. Elle en a eu pour plus de 4000 CHF. Et il faut bien préciser que ces personnes ne vivent qu’avec l’aide d’urgence, soit 10 CHF par jour.

Quand ces personnes reçoivent les amendes, elles s’adressent souvent d’abord à l’ORS — l’entreprise qui gère leurs foyers. L’ORS leur dit d’accepter l’amende et de la payer petit à petit. Certaines personnes sont venues nous voir avec leurs amendes et on a commencé à faire opposition avec elles. Quand tu fais opposition et que tu ne paies pas une amende, c’est le service des probations qui trouve d’autres manières de te la faire « payer ». En gros, tu reçois un formulaire avec deux choix : soit tu vas en prison, soit tu travailles (des jours-amendes). Avec la personne qu’on accompagnait, on a coché la case travail. On s’est dit que ça n’allait pas marcher puisqu’il fallait mentionner le permis de séjour de la personne alors qu’elle n’en avait pas, pour prouver qu’elle pouvait bien travailler légalement en Suisse. Sauf que… ça a marché ! Cette personne était tellement heureuse. Après des centaines, des milliers de jours dans ce foyer, c’est une mort intellectuelle, affective. Et là, elle pouvait enfin aller travailler. Elle était contente de se rendre utile, de pouvoir exister aux yeux des autres. On était très étonnéexs que ça ait marché. On s’est dit que la personne qui gérait la demande avait dû se tromper, qu’elle n’avait peut-être pas vu. L’amende suivante arrive, on tente encore le coup, on refait opposition et bim : ça marche de nouveau. Ça a marché comme ça quatre ou cinq fois. De cette manière, la personne qu’on accompagnait a pu bosser dans des maisons de retraite ou dans la cuisine de la mensa de l’université, par exemple. Ensuite, on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on dénonce cette absurdité, qu’on fasse quelque chose pour que ces personnes arrêtent de recevoir des amendes. Donc on a monté une petite action, on en a parlé avec le Conseil d’État, qui voyait bien que c’était absurde, on en a parlé avec un ancien juge aussi, qui trouvait aussi absurde qu’on donne des amendes de 600 CHF à des personnes qui ont 10 CHF par jour pour vivre.

Donc voilà où on en est : on voulait dénoncer publiquement l’absurdité de la situation de ces personnes que la Suisse refuse sur son territoire, mais qu’elle autorise à bosser. On voulait en parler dans les médias. Mais quand on a réalisé à quel point ça peut faire du bien de travailler plutôt que d’être dans un foyer, alors on s’est dit « surtout pas ». Et on n’a rien dit.


  1. L’absurdité de devoir prouver sa vie [no 50] a été écrit par une membre du même collectif et donne un autre aspect des rencontres avec les autorités et des réglementations qui en émanent. 

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