nous sommes partout

nous sommes partout

Lutter sans papiers

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

Je m’appelle Faris, j’ai 28 ans et je suis de nationalité marocaine. Ça fait trois ans que je suis installé en Suisse, à Lausanne. Avant, j’étais étudiant en France, mais faute de moyens et de garanxte pour renouveler mon titre de séjour, je me suis retrouvé en situation illégale. J’ai décidé de partir en Suisse pour éviter les contrôles systématiques, pour ne plus risquer une expulsion de France.

Je ne me considère pas comme militant. Pour être militant, pour faire avancer les choses, il faut avoir un statut légal. Dans l’illégalité, tu ne peux pas faire entendre ta voix, parce qu’il y a toujours le risque d’être arrêtéex, d’être amendéex. Je ne suis pas assez protégé pour pouvoir m’exposer à de tels risques. Je n’ai pas la possibilité de lutter à haute voix. Donc je suis un peu en retrait, c’est à travers d’autres personnes que j’arrive à lutter, à donner de la force et à soutenir des mouvements féministes et écologistes. C’est très frustrant parce que je ne peux pas être là à 100 %. Je ne donne pas tout ce que je peux donner, tout mon potentiel, toute ma force, mais une voix de plus, même en retrait, ça fait toujours une voix de plus.

C’est vrai que c’est frustrant, fatigant et décourageant de ne pas pouvoir être là quand il le faut. Avant, je n’étais jamais allé aux manifestations, j’avais un peu peur. Pas un peu, j’avais vraiment peur. Heureusement, il y a eu des personnes du collectif dont je fais partie aujourd’hui qui m’ont entouré. Ça m’a donné de l’assurance. Sans elleux, j’aurais pas été présent lors de la dernière manifestation féministe1. Avec toutes les arrestations que les manifestanxtes subissent, tout ce que la police fait pour arrêter ces phénomènes qu’elle considère comme illégaux…

Quand j’étais encore au Maroc, j’entendais parler de féminisme, mais je ne comprenais pas exactement ce que c’était. Je savais juste que c’était l’égalité entre hommes et femmes, pas plus que ça. En fait, j’étais déjà féministe, mais sans le savoir. J’ai toujours voulu l’égalité, la fin des violences envers les femmes, la fin des maltraitances. J’avais les mêmes idées, mais c’était général et superficiel. Je ne connaissais pas le terme et le mouvement.

Au Maroc, je ne connaissais pas non plus le mouvement écologiste. En France, j’étais en colocation avec une fille, c’était une Française, elle avait une trentaine d’années, moi j’avais 20 ans. Elle fumait des cigarettes roulées. À chaque fois qu’elle terminait sa cigarette, elle séparait le filtre du mégot, elle jetait le mégot à la poubelle et le reste par terre. Elle disait que c’était biodégradable, alors que le filtre non. Au Maroc, il y a juste des gens qui récupèrent les canettes en aluminium pour les revendre. Cette fille, elle a ancré ces manières de faire dans mon mode de vie. J’ai appris à faire attention aux déchets, je ne jette plus mes cigarettes par terre. Il y a des lois en France, mais c’est pas ce qui a fait que j’ai changé de comportement. C’est elle qui m’a rendu conscient de la question du climat et de l’environnement.

Ma colocataire en France, elle ne me parlait pas du tout de féminisme. Je ne sais pas si c’était à cause de la religion, elle savait que j’étais musulman et pour elle les musulmans sont un peu… Enfin, en tout cas, elle ne m’en a jamais parlé. Quand je suis arrivé en Suisse, j’ai fait des connaissances, j’ai rencontré les personnes du collectif dont je fais partie maintenant. Et avec le temps, en les entendant parler, en voyant leur façon de se comporter, j’ai développé beaucoup de connaissances. Je suis une personne différente maintenant, je ne vois plus les choses de la même façon.

On est en Suisse, chacunex vit sa vie, chacunex fait ce qu’iel veut, on n’est plus au Maroc. Hier j’ai croisé un gars, un musulman marocain aussi. Moi je portais un chapeau de cow-boy et j’étais devant la maison du collectif. Il me regarde et il me dit « c’est quoi ce chapeau, c’est quoi ces cheveux ? ». Il m’a dit : " tu deviens comme elleux". Et je lui ai répondu « on n’est plus au Maroc, je peux faire ce que je veux de ma vie maintenant, j’ai le droit. Ces personnes m’ont ouvert les yeux ». Avant je pensais toujours à ce que les gens allaient penser de moi. Aujourd’hui, ça n’est plus comme ça. L’autre jour, je parlais de féminisme et un gars a dit un truc inapproprié et je lui ai dit " t’as pas le droit de dire ça". Sur mon téléphone, j’ai collé le logo de la grève féministe et il me dit « C’est quoi ça? ». Je lui ai dit « on est en Suisse et je peux faire ce que je veux ». Il me répond « l’Islam a donné une place à la femme, c’est pour des bonnes raisons, c’est pas maintenant qu’on va changer ça ». J’ai dit « L’Islam valorise la femme, ça ne sert à rien de déformer les choses… » En deux jours, deux personnes m’ont dit « C’est bon, t’es en train de devenir européen. » Par certaines personnes, t’es vu comme si t’étais un traître, comme si t’avais abandonné ta religion, alors que je ne bois pas d’alcool, je ne mange pas de porc, je suis à 80 % religieux disons et ça ne m’empêche pas de lutter pour ces causes. Et, quand j’aurai régularisé ma situation, je m’impliquerai encore plus dans la lutte.

Au cours de cette transition, de ce changement, il y a eu plusieurs étapes. J’apprenais, je regardais, je remarquais. Au début, j’avais des doutes liés à la religion. Avant, je ne pouvais pas accepter qu’on me traite de gay ou de bi, mais au fond de moi j’ai toujours été pour la cause LGBTQIA+, même si je n’arrivais pas à l’exprimer. Au bout d’un moment, j’ai commencé à me remettre en question. J’ai commencé à voir des couples homosexuels, des choses que je n’avais jamais vues avant. Et à me dire dans ma tête « c’est un peu contradictoire Faris quand même ». Je savais que chacunex avait le droit de vivre sa vie comme iel voulait, d’être religieuxse ou pas, d’aller à l’encontre de ce que la société nous impose comme le modèle familial homme-femme-enfants. J’ai commencé à me remettre en question et à me dire que chacunex doit pouvoir vivre sa vie à sa guise, qu’on n’a pas à être attaché au modèle imposé par la société, qu’on peut choisir ce qu’on veut être, qu’on peut devenir ce qu’on a envie d’être.

En parlant avec les personnes du collectif, ça me donne de la force, ça m’encourage de voir qu’il y a toujours des personnes dans la lutte, qu’elles sont là à lever le drapeau, à manifester, surtout pour les personnes qui ne parlent pas. Je pense pouvoir apporter des choses à ces mouvements parce qu’étant arabe et musulman, je fais partie d’une minorité.

La plupart des personnes qui luttent sont européennes. Rien que de voir un arabe musulman dans une foule féministe qui lutte pour les droits des femmes et des LGBTQIA+, ça change quelque chose. Ça ferait réagir d’autres personnes, d’autres communautés.

Comme j’ai dit avant, heureusement qu’il y a ces gens qui m’entourent. Parce qu’avec toutes ces contraintes, les papiers, je pense que j’aurais été complètement découragé. Ces personnes que je vois tous les deux jours, elles me donnent de la force. C’est ça qui fait que je ne baisse pas les bras.


  1. Manifestation pour la Grève Féministe du 14 juin 2020. 

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