nous sommes partout

nous sommes partout

Nique le cynisme

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

On reproche souvent au discours militant d’extrême gôche radical sa rigidité, son impression d’avoir toujours raison, d’avoir toutes les solutions. En vrai, j’avoue, je trouve que j’ai raison sur pas mal de trucs. Il faut penser que t’as raison pour bouger ton cul et militer, au moins un peu raison. C’est pas un défaut de penser que t’as raison. Avoir des « convictions », si on change un peu les mots, c’est plutôt une qualité, un truc qu’on noterait presque sur son CV.

Pour créer un bon consensus mou helvétique à deux balles, je prends deux exemples bien faciles :

Au plus profond de moi, je crois que j’ai raison de m’insurger contre le fait qu’il y a des multimilliardaires qui se la coulent douce et des pauvres qui galèrent. Au plus profond de moi, je crois que j’ai raison d’être contre la peine de mort, pour la création d’une société plus juste, plus sociale, plus heureuse.

On me dira : « Mais bien sûr tout le monde trouve ça injuste, c’est un élément de langage de gauche ! Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Alors, bon, déjà, la Gôche ça veut rien dire. Ensuite, une chose : si c’est un élément de langage que tout le monde partage, ça veut dire qu’on est touxtes d’accord. Et si on est touxtes d’accord, pourquoi il y a encore des multimilliardaires qui se la coulent douce pendant que des pauvres galèrent ? Ma logique est implacable. D’une manière ou d’une autre, si tu me réponds ça, c’est que tu ne partages pas vraiment cet avis, que tu ne trouves pas ça vraiment injuste.

« Oui, mais c’est plus compliqué que ça ». Ok, ce qui est peut-être plus compliqué, c’est de renverser ce qui maintient ces inégalités, mais si t’es d’accord sur le fond, pourquoi t’es pas en train de t’insurger, toi aussi ? Et surtout, pourquoi t’es pas d’accord avec moi ? Pourquoi t’adoptes cette posture de, « je maîtrise la complexité », au lieu de venir gueuler avec moi ?

Au pauvre banquier cynique et social-traître de ma famille de prolos qui trouve que c’est bien normal que sa mère gagne le cinquième de son salaire parce qu’au lieu de faire des études elle a passé son temps à le mettre au monde et à le biberonner de lait et d’amour, j’ai envie de répondre avec un pavé dans sa gueule. J’ai envie de répondre qu’il a choisi son camp seul, ok pas tout à fait, la pub, sa propre banque, la grosse inertie idéologique de la démocratie, tout ça l’a bien aidé, mais il a fini par choisir. Sa logique est efficace, son intelligence est capable de recracher des principes méritocratiques cyniques et pourris : il a tous les outils en main pour être d’accord. Je ne lui demande pas de s’engager, même pas d’envoyer septante balles par année à Greenpeace, juste d’être d’accord, juste de pas s’obstiner à me contredire, juste de pas prendre un malin plaisir à répéter que « c’est plus compliqué que ça » d’un air satisfait avant de repartir travailler, le cœur tranquille, dans sa banque.

Je suis triste, et énervée, triste de pas comprendre, de pas réussir à m’expliquer pourquoi tout le monde n’est pas d’accord avec moi, pourquoi tout le monde n’est pas en train de s’insurger. C’est tout con comme réflexion, je dis pas que je suis intelligente, je dis que j’ai raison.

Et des pauvres banquiers qui gagnent cinq fois plus que ma tante, il y en a plein, des multimilliardaires, il y en a nettement moins. On serait de taille pour répartir, même un poil plus, toute cette thune, celle qui finit dans ces projets débiles qui visent à créer des capsules blanches et lisses et dégueulasses pour habiter sur Mars. On s’en tape de Mars. Tant qu’il y aura encore une seule personne sur cette planète-ci qui crève la dalle, qui n’a pas de toit sur sa tête, qui est moins « légale » qu’une autre sur un territoire, on chiera sur Mars. Il n’y a rien là-bas qui puisse nous aider véritablement, juste de la poussière rouge qui vit sa meilleure life en dehors de l’anthropocène. Il n’y a pas (encore) de multimilliardaires à spolier, de sociétés à transformer, de forêts à sauver. Sur Mars, y’a personne à aimer.

Voilà, c’est mon coup de gueule quotidien, perpétuel et cyclique, celui qui me vient quand je regarde les infos, quand je marche dans les quartiers riches, quand je vis le dérèglement climatique, quand je lis, quand je bois, quand je mange, quand je vais faire les courses, quand je vois toutes ces tantes précaires et tous ces cousins banquiers.

Et parfois j’en peux plus, je gonfle comme une montgolfière et j’ai envie de lâcher du lest pour me casser dans les airs, pour faire la course avec leurs fusées. Mais j’arrive pas à détacher les poids de la cabine, c’est trop lourd, les nœuds sont trop serrés. C’est dur de faire capter cette sensation sans passer pour la bonne âme charitable.

C’est pas des éléments de langage, c’est réel et surtout, c’est fucking raisonnable.

Il n’y a que le cynisme qui soit déraisonnable.

Voilà, ce sera tout pour moi.

Militer, c’est niquer le cynisme.

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