nous sommes partout

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Solidarité antispéciste

…nous sommes partout, même dans le vide
…patience, patience… ça charge

— On commence par les refuges, c’est ça ?

— Ok, je commence. Donc un sanctuaire ou un refuge, c’est un lieu dans lequel on peut accueillir des animaux non humaines qui ont besoin d’un espace pour vivre. Que ce soit parce qu’iels vont être envoyées à l’abattoir, qu’iels sont maltraitées1 ou qu’iels sont dans une situation où les gens ne peuvent plus s’occuper d’elleux.

— Les animaux non humaines qui sont dépendantes de nous n’ont pas le choix : iels sont obligées de se reposer sur nous.

— Pourquoi plus sanctuaire que refuge ?

— Un refuge c’est un endroit où les animaux vont aller pendant un certain temps; l’objectif c’est de les replacer dans d’autres familles d’accueil par la suite. Alors que dans un sanctuaire, le but c’est vraiment qu’iels aient le plus longtemps possible un espace, où iels pourront terminer leur vie de façon digne. Voilà un petit peu les grosses différences entre un refuge et un sanctuaire.

— Refuge, c’est un peu SPA, et sanctuaire, c’est plus politisé comme terme.

— Mais iels viennent d’où les animaux ?

— On peut à la fois avoir des animaux non humaines qui ont été sauvées de manière illégale, simplement par des personnes qui sont allées les chercher là où iels étaient en détresse, ou bien de manière légale, par des saisies ordonnées par les autorités d’État, mais ça reste rare.

— En Suisse, et partout ailleurs, les lois sont très spécistes et on a plus tendance à vouloir faire disparaître le problème qu’aider les individus qui ont besoin d’aide. Par exemple si quelqu’unex s’occupe extrêmement mal d’animaux non humaines (il faut quand même s’occuper extrêmement mal d’elleux pour avoir des problèmes légaux), donc qu’iel ne leur donnerait ni à boire ni à manger et qu’iel aurait eu plusieurs avertissements, le vétérinaire cantonal pourrait lui donner une interdiction d’en posséder et là, iel aurait un mois pour se débarrasser de ces individus.

— Se débarrasser des animaux non humaines inclut l’abattoir, ou les ventes, ou quoi que ce soit d’autre. Du moment que le problème n’existe plus, c’est considéré réglé pour l’État, mais à aucun moment on se pose la question de comment on peut faire pour aider ces individus qui sont en détresse.

— Parmi ces animaux, il y en a qui ne sont pas forcément tout de suite destinées à être tuées mais à être exploitées. Je pense notamment aux poules pondeuses dont le temps de vie est assez réduit et qui sont dans des états vraiment très déplorables : plus de plumes, une fatigue extrême, plus aucune énergie. Dès le moment où elles produisent moins d’œufs qu’au départ, la solution pour les éleveureuxses, c’est de les tuer. Et ça, c’est une des raisons pour lesquelles des personnes iraient sauver des individus d’un sort effroyable comme ça.

— Peut-on parler de la façon dont on s’occupe de ces individus ?

— Les refuges ou les sanctuaires ont besoin de pas mal de ressources pour s’occuper de toustes ces animaux, que ça soit pour couvrir les frais vétérinaires ou simplement pour les nourrir. Comme ces animaux étaient en situation de détresse, beaucoup vont avoir des problèmes de santé qui vont durer longtemps et vont être récurrents, que ce soit parce qu’iels ont été mutilées lors de l’élevage, ou qu’iels ont été exploitées pendant des années, ou encore qu’iels ont été séparées de leurs parents extrêmement tôt et donc iels n’ont pas développé un système immunitaire assez fort.

— Les animaux non humaines qui sortent d’élevages ne sont pas en bonne santé : les 18 cabris qui avaient été sauvées en 2018 de l’abattoir de Rolle avaient toustes des pneumonies et des vers.

— Les cochons qui sortent d’élevage ont la queue coupée ; ça veut dire que leur colonne vertébrale est coupée et donc iels développent des problèmes de dos en vieillissant.

— Je veux juste rajouter que ça se fait à vif, sans anesthésie.

— Ce sont des problèmes dont l’industrie spéciste n’a rien à faire puisqu’ils les tuent très très vite…

— Tout cela donne des problèmes de santé assez conséquents pour les rares individus qui arrivent à sortir vivants de ces institutions.

— Tout ça, ça fait des charges en plus pour les sanctuaires et les refuges qui arrivent à accueillir ces individus, à cause des conditions vraiment horribles d’exploitation qu’iels ont subies durant leurs vies.

— Tout ça nécessite donc beaucoup de ressources financières, mais aussi beaucoup de temps et d’énergie, non ?

— C’est un engagement sur le long terme, parce qu’on a des individus qui vont vivre une petite dizaine d’années, comme les poules, et d’autres qui vont vivre très longtemps, comme les équidés par exemple. Alors que, de manière générale, dans les élevages, ces mêmes animaux ne vont pas vivre aussi longtemps. Une poule va vivre deux ou trois ans, peut-être quatre ans…

— Si elle est pondeuse.

— Si elle est pondeuse parce que sinon…

— 30 jours.

— Voilà…

— Il manque beaucoup de recherches et de connaissances là-dessus. Un coq ou une poule ne vont jamais se faire soigner parce que tout le monde s’en fiche, leur vie ne vaut rien du tout. Iels n’ont pas de valeur marchande donc il n’y a pas de remède quoi.

— J’ai l’impression que le but des sanctuaires et des refuges, c’est de réinventer notre rapport aux autres animaux. Et c’est très difficile à faire parce que dans un refuge ou dans un sanctuaire, eh bien le spécisme est toujours là. C’est naïf de penser que parce que l’animal est dans un sanctuaire, iel est éloignée du spécisme. Ça veut dire qu’il faut se remettre en question tous les jours, essayer de se rendre compte qu’il y a des rapports de domination, comme dans toutes les autres luttes. Que les personnes dominantes, elles seront toujours dominantes. Il faut faire d’énormes efforts pour que la domination soit la plus faible possible.

— Je pense qu’une des premières leçons que tu peux tirer dans un sanctuaire ou un refuge, c’est exactement ça. Par exemple, quand tu interagis avec des cochons, tu te rends compte qu’iels sont très intelligentes. Iels ne sont pas du tout les êtres répugnants qu’on nous a toujours dépeints. Ce sont des êtres dotés de personnalités et quand on les voit juste comme des chiffres dans des barquettes, ben on a l’impression que ce sont des objets, tellement c’est déshumanisé.

— Peut-être qu’on devrait expliquer pourquoi on dit « personne » pour parler des animaux ?

— Il me semble qu’une personne, c’est une individu doté de personnalité. Quand on passe du temps avec les animaux non humaines, on se rend bien compte qu’il y en a qui ont un caractère assez sévère, d’autres qui sont très curieuses, d’autres qui aiment bien jouer, ou d’autres encore qui ont besoin de calme. Donc, ça en fait des personnes à part entière. Et ça, c’est quelque chose qui souvent dérange les personnes humaines. Parce qu’elles ont l’impression de perdre un privilège. (Rires.) Et nous, ça nous semble très important de rappeler… que nous ne sommes pas les seulexs à avoir des personnalités différentes.

(Silence.)

— Peut-être vous pourriez expliquer quelles sont les tâches à faire dans un sanctuaire?

— Leur donner de l’eau, contrôler leur santé, les amener chez le véto quand il faut…

— Nettoyer leurs cacas2. Ce que je veux dire là-dessus, c’est que s’il faut nettoyer leurs cacas, c’est à cause du manque d’espace que nous leur donnons. Parce que dans la nature, iels parcourent des kilomètres, donc deux, trois cacas de chèvre c’est rien du tout.

— C’est même bien.

— Et être dans un petit espace où iels piétinent tout le temps, ça peut aussi engendrer certaines maladies.

— En fait, on fait des choses dont iels ont besoin mais dans d’autres circonstances, iels pourraient s’en sortir sans nous.

— Ce sont des besoins générés par l’humain quoi…

— Je voudrais rajouter que les animaux non humaines ont aussi besoin de temps et d’affection.

— Iels en ont besoin, mais iels ont surtout besoin d’avoir du temps entre elleux.

— On en revient de nouveau à l’espace. Ce qui est sûr, c’est qu’un animal qui a un petit espace, iel a besoin d’interaction avec les personnes qui s’en occupent, alors que si t’as un immense terrain avec plein de ressources différentes, l’animal non humaine pourra devenir plus ou moins autonome.

— Je voulais vous demander si pour vous l’antispécisme a du sens sans l’anticapitalisme. Et quelles sont les connexions entre l’anticapitalisme et l’antispécisme ? Peut-être entre féminisme et antispécisme3 ?

— Je ne pense pas que ce soit possible d’envisager un monde ou une société qui soit antispéciste, sans qu’elle soit libertaire, anticapitaliste et féministe. La lutte écologiste a peu de sens si elle est uniquement pour les humains.

— Tout ça requiert un changement sociétal assez énorme.

— D’autres luttes doivent s’inscrire dans l’antispécisme pour faire sens.

— J’ai aussi l’impression que c’est toujours une question de privilèges et de domination. On ne peut abolir l’un sans l’autre. Soit on change totalement nos rapports à tous les individus, soit ça continuera tout le temps à merder quelque part.

— Y’a une phrase qui depuis tout à l’heure me trotte dans la tête et j’ai juste envie de la dire : ouvrir son cœur aux animaux non humaines, devenir antispéciste, c’est juste élargir son cercle de compassion. Tu peux pas juste ouvrir ton cœur aux animaux et dire « c’est bon, j’ai fait ma part des choses ». Non, quand on ouvre son cœur, on l’ouvre bien au-delà, on essaie de l’ouvrir à toutes ces personnes qui sont oppressées et qui ont toujours été écrasées par la façon dont on vit.

— Dans tous les repas traditionnels, y’a des animaux morts, ça renforce vraiment le spécisme tout le temps, partout.

— Au sein d’une famille, s’opposer au repas de Noël, parce qu’il comprend des cadavres, de la chair d’animaux non humaines pour festoyer une fête qui est censée prôner l’amour, c’est vu comme quelque chose de vraiment très agressif. C’est vu par bon nombre de familles comme une violence, je sais que pour beaucoup de personnes, rien que cette petite étape, ça représente quelque chose d’énorme.

— Qu’est ce qu’on peut faire pour être militanxte antispéciste?

— J’aime pas trop le terme « militanxte antispéciste », ça me dérange un peu, j’ai l’impression que c’est un mot un peu identitaire… Les hommes cis° ne peuvent pas être féministes, mais ils peuvent être alliés. Nous qui ne subissons pas l’oppression, c’est un peu délicat de s’identifier comme antispécistes. On essaie de faire ce qu’on peut et, enfin, je préfère parler du spécisme et expliquer à quel point ça ne devrait pas exister, à quel point il faut se battre contre, mais j’ai un peu peur de ce mot antispéciste. J’ai l’impression qu’on a tendance à moins se remettre en question dans nos rapports quotidiens avec les autres espèces, à trop se reposer sur nos acquis, à juste se dire qu’on est antispéciste. Avant, il y avait le mot vegan, mais le véganisme était concentré sur NOS habitudes alimentaires, alors pour pallier ça, on a commencé à utiliser le mot antispéciste. Mais en fait ça reste la même chose, c’est quelque chose d’identitaire, ce sont nos habitudes, ce sont nos trucs, et on parle très peu des personnes qui sont concernées par le spécisme. C’est-à-dire, pas nous en fait. Ça me paraît beaucoup plus simple de parler de spécisme et de se concentrer sur ce que subissent vraiment les victimes.


  1. À ce propos, lire aussi le récit d’un sauvetage dans un élevage intensif de lapins dans Bidule, Truc et Machin à la ferme [no 29]. 

  2. Sur une utilisation possible de cette ressource, voir Le compost généralisé [no 41]. 

  3. Sur ce sujet, lire un dialogue chanté écoféministe dans Cette colère immense, collective, transgénérationnelle, internationale [no 30]. 

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